Par Ghorbanali Khodabandeh
Au milieu de la guerre d’agression de douze jours d’Israël contre l’Iran, alors que les acteurs internationaux hésitaient entre médiation et intervention, la politique étrangère française s’est lancée dans une voie ambiguë. Après les frappes aériennes massives lancées par l’armée israélienne sur l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin, la réaction de la France était attendue au tournant.
Les dirigeants français ont été assez peu entendus sur le sujet depuis que l’entité israélienne a frappé des installations nucléaires et visé de hauts responsables iraniens, entraînant depuis des ripostes sans précédent de Téhéran.
Depuis les premières frappes israéliennes contre l’Iran, la France a reconnu le droit d’Israël à se défendre. Emmanuel Macron avait même indiqué que la France participerait « aux opérations de protection et de défense » d’Israël en cas de « représailles » iraniennes, si elle était « en situation de le faire ».
Par la suite, les responsables français ont appelé à la retenue et à la diplomatie, sans condamner Israël ni désavouer ses frappes : en effet, la France a réagi, de manière quelque peu inattendue, voire acrobatique, à l’offensive lancée par le régime israélien contre l’Iran, tout en reconnaissant que cette agression constituait une violation des lois internationales.
Comment expliquer la position française vis-à-vis de ce nouveau conflit qu’Israël a déclenché contre l’Iran avec le soutien direct des États-Unis ?
Comment les dirigeants français ont-ils réagi à l’agression israélienne contre l’Iran ?
Rapidement après l’agression israélienne, le président français a réaffirmé le droit d’Israël à se protéger et à assurer sa sécurité, rappelant avoir « plusieurs fois condamné » le programme nucléaire iranien. « Pour ne pas mettre en péril la stabilité de toute la région, j’appelle les parties à la plus grande retenue et à la désescalade », a ajouté Emmanuel Macron sur le réseau social X. « La paix et la sécurité de tous dans la région doivent être notre boussole », a-t-il insisté, affirmant que « la France est prête à travailler avec tous ses partenaires pour œuvrer à la désescalade au Proche et Moyen-Orient ».
Un peu avant, son ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot avait appelé « toutes les parties à la retenue et à éviter toute escalade susceptible de compromettre la stabilité régionale », réaffirmant lui aussi « le droit d’Israël à se défendre contre toute attaque ». Le Premier ministre François Bayrou a réagi de façon similaire, affirmant que « les États de la région, y compris Israël, ont le droit de se défendre et d’empêcher que le pire des accidents puisse arriver ».
Deux jours plus tard, le chef de la diplomatie française a dit que la France n’avait pas à ce stade mobilisé ses moyens militaires pour aider Israël à intercepter les missiles iraniens visant son territoire.
Selon lui, la position de la France est claire : « Le programme nucléaire iranien est une menace existentielle pour la sécurité d’Israël et pour la sécurité européenne. Nous avons toujours dit que la meilleure façon de contenir ce programme nucléaire, c’était par la voie diplomatique. »
Pour ces raisons, prévient le ministre, « nous nous tenons prêts à contribuer à la protection d’Israël. Nos moyens militaires dans la région ont vocation d’abord à défendre nos intérêts mais aussi à participer à la défense de nos partenaires ».
La réaction de la France à l’agression israélienne contre l’Iran est une « honte absolue »
Les prises de position ces dirigeants français ont fait hurler à gauche. Jean-Luc Mélenchon a estimé que l’urgence était « d’arrêter Benjamin Netanyahu » et qu’« aucune opposition à l’Iran ne justifie l’agression militaire de Netanyahu contre ce pays ». « La diplomatie française avait été en pointe dans la conclusion de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran rompu unilatéralement par l’axe USA-Israël. Aujourd’hui, la Macronie approuve l’agression de Netanyahu comme solution défensive », a ajouté le leader insoumis sur X.
Dans le même temps, le coordinateur national de la LFI a estimé que « le droit d’Israël à se défendre n’a rien à voir avec la possibilité de commettre un génocide comme c’est le cas aujourd’hui à Gaza ou avec le fait de bombarder et de frapper un autre pays de la région ». « Le fait que le président de la République apporte son soutien à cette opération est une rupture avec l’engagement que la France doit toujours défendre sur la scène internationale, c’est-à-dire la défense du droit international », a estimé Manuel Bompard sur BFMTV.
« C’est Israël qui a attaqué l’Iran, pas l’inverse », rappelle le député de La France insoumise Aurélien Taché. Sa collègue Aurélie Trouvé, ex-porte-parole d’Attac désormais présidente de la commission des Affaires économiques à l’Assemblée nationale, estime que « la réaction du gouvernement français est en-dessous de tout ». « Contrairement à bien d’autres États, le gouvernement justifie le droit d’Israël à se défendre contre toute attaque », déplore-t-elle
Son collègue Pierre-Yves Cadalen qualifie le communiqué du ministre de « honte absolue ». « Faut-il vous rappeler que la légitime défense préventive n’existe pas en droit international ? », interroge-t-il, reprochant au chef du Quai d’Orsay « d’abaisser la France au Proche et Moyen-Orient ». Christophe Bex regrette, lui, « qu’en vingt ans, la France soit passée de Dominique de Villepin (qui tenait tête aux États-Unis) à Jean-Noël Barrot (qui invente la légitime défense préventive pour Israël) ».
« Le droit d’Israël à se défendre ? Mais c’est Israël qui attaque en premier, et qui sème le chaos dans toute la région ! Ce communiqué fait honte à la France », estime aussi l’insoumis Damien Maudet. David Guiraud va plus loin et considère que « la France est salie à chaque fois qu’elle sert de paillasson à la propagande du criminel Netanyahu ». Gabrielle Cathala, qui siège dans le même groupe, rappelle que c’est Israël qui « est à l’origine de l’attaque » et qui « déstabilise le Moyen-Orient ». La France insoumise met l’accent depuis plusieurs mois sur la dénonciation des massacres à Gaza, et ne loupe jamais une occasion de s’élever contre Benjamin Netanyahu.
Le gouvernement français volontairement dans l’ambiguïté
Jusqu’ici, ni la France ni l’Union européenne n’étaient vraiment aux avant-postes des négociations avec l’Iran. Depuis des mois, ce sont les États-Unis qui négocient indirectement avec la République islamique. Mais le contexte pousse Emmanuel Macron à tenter de reprendre la main, comme il a déjà essayé de le faire sur le dossier ukrainien, sans grand changement sur le terrain pour l’instant.
Pour éviter l’escalade entre les deux parties, le locataire de l’Elysée appelle ainsi à la reprise du dialogue et à la négociation pour régler la question nucléaire iranienne.
« On a un président qui reste volontairement dans l’ambiguïté, sans vraiment clarifier ses intentions sur Israël ou sur l’Iran », regrette Ayda Hadizadeh, députée socialiste et présidente du groupe d’amitié France-Iran à l’Assemblée nationale.
Dans un contexte d’économie mondiale fragilisée par la hausse des droits de douane, l’heure est plutôt à la prudence sur ce terrain. Le chef de l’État français a donc préférer expliquer être prêt à participer « aux opérations de protection et de défense » d’Israël en cas de « représailles » iraniennes, si la France était « en situation de le faire », sans en préciser les contours.
L’annonce de l’Élysée est d’autant plus surprenante qu’Emmanuel Macron entretient des relations glaciales avec Benjamin Netanyahu depuis des mois. La France appelle à reconnaître l’État de Palestine et a dénoncé à plusieurs reprises la situation humanitaire catastrophique en cours dans la bande de Gaza, pilonnée sans relâche depuis les attaques du 7 octobre 2023.
Parallèlement, le ministre français de la Défense, Sébastien Lecornu, a déclaré que l’armée française a participé aux efforts visant à arrêter les drones iraniens qui visaient Israël avant le cessez-le-feu convenu par les États-Unis.
« Je peux confirmer que l’armée française a intercepté moins de dix drones ces derniers jours lors des différentes opérations militaires menées par la République islamique d’Iran contre Israël, soit par des systèmes sol-air, soit par nos avions de combat Rafale », a détaillé Lecornu lors d’un débat parlementaire sur la situation au Moyen-Orient.
Ces déclarations interviennent alors que le ministre français des Affaires étrangères a reconnu jeudi que les frappes israélo-américaines contre l’Iran n’étaient pas conformes avec les lois internationales.
Quel rôle pour la France dans les récentes évolutions de la région ?
Durant la guerre de 12 jours entre l’Iran et Israël, la position de la France semblait différer sensiblement de celle des autres pays européens, notamment de l’Allemagne et du Royaume-Uni. De l’avis de certains, la France aurait adopté une position plus équilibrée et Emmanuel Macron aurait agi de façon plus active par rapport aux autres dirigeants européens. Cette différence ne se limiterait pas au comportement de la France dans cette guerre, mais s’inscrit depuis longtemps dans la politique de Paris envers l’Iran, notamment sur la question nucléaire.
L’agression israélienne a été menée sans autorisation officielle et sans document convaincant et juridiquement acceptable pour l’opinion publique ou les institutions internationales. Israël cherchait depuis longtemps à déclencher une guerre contre l’Iran et semblait être parvenu à une certaine coordination avec les Américains en ce sens. L’attaque américaine qui a suivi était également dépourvu de tout soutien de l’Assemblée générale des Nations Unies et du Conseil de sécurité. Cette opération n’a bénéficié d’aucune autorisation ni d’aucun consensus mondial, ce qui constituait une violation flagrante des principes du droit international.
Dans ce contexte, bien que les Français ne se soient pas ouvertement opposés aux États-Unis comme lors des périodes précédentes, comme la guerre en Irak, des divergences et une certaine prudence ont toutefois été perceptibles dans leurs positions. Cette divergence s’est manifestée avant la célèbre réunion de Genève où le chef de la diplomatie iranienne a rencontré les ministres des Affaires étrangères de trois pays européens et la haute responsable de l’UE pour la politique extérieure.
Après le début de la guerre, lorsqu’Israël a lancé son agression et que les États-Unis sont intervenus directement, des changements ont été observés dans la manière dont la France exprimait ses positions, même si ces différends n’étaient pas totalement évidents et décisifs.
Par conséquent, ce qu’on constate aujourd’hui dans la confrontation de la France avec l’agression israélo-américaine contre l’Iran résulte davantage des réalités géopolitiques complexes. Autrement dit, la position française actuelle diffère fondamentalement de son comportement passé, une approche qui découle avant tout de ses intérêts stratégiques, économiques et de son positionnement international.